Pierre St-Cyr, LJI Reporter
État inquiétant du secteur tient à une main d’oeuvre insuffisante, de maigres infrastructures et une forte compétition de l’Ontario, selon la SADC
Le retour de la belle saison annonce aussi le retour des touristes. Dans le Pontiac, le tourisme a toujours généré d’importantes retombées économiques. Une situation imputable, entre autres, à son excellent réseau de pourvoiries et de zecs.
Il est un secteur, toutefois, qui affiche triste mine. Et c’est celui de l’hébergement et de la restauration. Tout particulièrement à Mansfield, Fort-Coulonge et Davidson.
Au cours de la dernière année, plusieurs des établissements que l’on y trouve ont ou bien fermé leurs portes (Restaurant Francoeur, Pourvoirie Magnum, Restaurant La Principale), ou été mis en vente (Restaurant J & A Bowers), ou encore fermé temporairement (Bistro Du Bucheron).
Pour cette région dont la population totale dépasse à peine les 4 000 personnes, ces nouvelles ont eu l’effet d’un électrochoc.
Que se passe-t-il donc? A-t-on affaire à un phénomène passager ou durable? Selon Rhonda Perry, directrice générale de la Société d’aide au développement de la Collectivité (SADC), les raisons de cette situation sont multiples, et vont d’un trop petit bassin de main d’oeuvre jusqu’au manque d’infrastructures, en passant par des revenus disponibles par habitant parmi les plus faibles du Québec. «Qui plus est, ajoute-t-elle, nous sommes en compétition avec Pembroke, un pôle économique et touristique d’importance.»
Jimmy et Aline Bowers, les copropriétaires du restaurant Bowers à Mansfield, sont pour l’essentiel d’accord avec cette lecture de la situation. «Notre restaurant est à vendre depuis près d’un an, dit Jimmy Bowers. Et nous sommes toujours en attente d’une offre sérieuse. La vérité, malheureusement, c’est qu’il n’y a pas de relève.»
Pourtant, leur établissement ne désemplit pas. Jour après jour, les clients sont au rendez-vous. «C’est vrai, déclare Aline Bowers. Mais pour réussir dans ce métier, il faut être prêt à y mettre les heures… beaucoup d’heures. D’autant plus que la main d’oeuvre n’a jamais été aussi rare.»
Comme pour bien faire passer le message, Jimmy Bowers pointe en direction de la cuisine où c’est une vénérable octogénaire qui agit comme plongeuse… «Trouver de bons employés n’est plus chose facile, dit-il. Nous sommes chanceux d’avoir un bon groupe de travailleuses. Mais à notre âge – et après plus de 37 années au gouvernail – le temps est venu de passer le flambeau.»
Diversification de l’offre?
Y mettre les heures, souvent non-rémunérées, c’est aussi ce à quoi doivent s’astreindre les copropriétaires de Café Downtown, situé au centre-ville de Fort-Coulonge, pour maintenir leur entreprise à flot.
«C’est rough… surtout en hiver. Le petit nombre de touristes, la pauvreté relative de la population environnante et le manque de personnel nous obligent à travailler fort et à faire preuve d’imagination, » affirment à l’unisson Alexandre Romain et Natasha Lamadeleine.
Les deux jeunes propriétaires, aussi conjoints dans la vie, ne comptent plus leurs heures depuis qu’ils se sont portés acquéreurs de l’établissement. Pour faciliter les fins de mois, Lamadeleine fait même double emploi (en tant que fonctionnaire).
Mais, pour eux, avoir du coeur au ventre ne garantit pas le succès. Il faut aussi savoir se renouveler. Au niveau du menu, notamment.
« Je change le menu trois et même quatre fois par année, dit Romain qui dirige la cuisine. Il le faut si nous voulons offrir à la population et aux touristes de belles expériences gastronomiques.»
Ses efforts semblent générer de bons résultats si l’on se fie à leur obtention du titre convoité de partenaire par Tourisme Outaouais. «Ce partenariat nous est précieux et nous vaut même la visite de plus en plus fréquente de touristes étrangers, » affirme Romain.
Le propriétaire de Café Downtown sait bien que ce n’est pas en offrant un menu comparable à celui du restaurant Bowers qu’il va maintenir son établissement ouvert. D’autres l’ont fait, et se sont cassés les dents. Le bassin de population ne le permet pas, non plus que le nombre de touristes – le Pontiac accueille seulement 7% des touristes et excursionnistes de la région touristique de l’Outaouais, selon un rapport de l’Observatoire de développement de l’Outaouais (ODO) publié en 2018.
Il n’a eu donc d’autre choix que de se démarquer, en se taillant une niche culinaire distincte. «Mais je ne me berce pas d’illusions, non plus. Pour survivre, nous allons devoir sabrer le plus possible dans les coûts, multiplier les partenariats et devenir encore plus agressif au plan du marketing.»
Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus
La SADC – dont le siège se trouve face au Café Downtown – partage la vision du jeune entrepreneur et de sa partenaire, et le leur a fait savoir en leur consentant divers prêts. Mais également en évitant le plus possible d’ajouter à leurs défis.
C’est ainsi qu’en raison de l’extrême fragilité de l’écosystème économique régional, la SADC considère que sa mission actuelle n’est pas tant d’ajouter des entreprises que de protéger celles déjà en place.
Dans le cas de Café Downtown ou encore du restaurant Bowers, cela pourrait signifier ne pas appuyer de projets qui ressemblent un peu trop à ce qu’ils sont et font. À plus forte raison si les plans de travail et analyses de marché sont insatisfaisants.
Pour l’heure, toutefois, la SADC multiplie les démarches pour attirer plus de touristes dans la région. À cet effet, elle a déjà en poche une entente avec la Ottawa Valley Tourist Association qui contribue déjà à augmenter le nombre de visiteurs dans les microbrasseries et vignobles de la région.
Idem du côté de la Chambre de commerce du Pontiac qui cherche au moyen de ses initiatives de réseautage à appuyer tangiblement les restaurateurs de toute la région.
Reste que la situation demeure précaire. La mairesse de Mansfield, Sandra Armstrong, en est très consciente. «Chaque fois qu’un restaurant ferme, c’est un lieu de rencontre qui disparaît. Il nous faut travailler à les protéger. J’espère en tout cas qu’à terme, l’ajout, en 2023, de notre municipalité et celle de Fort-Coulonge au réseau de Village-relais du Québec va donner un coup de pouce aux restaurateurs et aux commerçants de la région.»
En attendant, faut-il redouter la fermeture d’autres entreprises? Pour leur part, Jimmy et Aline Bowers entendent demeurer en poste. «On va prendre ça un jour à la fois, dit Jimmy. C’est tout ce qu’on peut faire. Nos clients le méritent bien.»